Prenez un appareil photo numérique, posez le contre l’oculaire d’une lunette terrestre, zoomez et déclenchez. Voilà, le petit oiseau est sorti, et l’autre, celui qui était posé si loin s’affiche désormais en grand sur l’écran, comme s’il était devant vous.
La digiscopie, car c’est de cela qu’il s’agit, est un mot qui revient de plus en plus dans les conversations des naturalistes, principalement des amateurs d’oiseaux. Désormais, la baisse du prix des appareils numériques, par ailleurs de plus en plus performants, met à la portée du plus grand nombre une technique d’utilisation jusqu’ici plus ou moins confidentielle. Mais comme souvent avec une nouveauté, de nombreuses questions se posent sur la manière d’obtenir des résultats convenables : comment utiliser un appareil numérique collé derrière un télescope ? Cet article s’adresse à toute personne qui, ne possédant pas de notions particulières en photographie, souhaite réussir des clichés exploitables à valeur documentaire. Bien sûr, photographier à travers une longue-vue n’est pas nouveau. Les boîtiers reflex argentiques offraient déjà cette possibilité. Ils se montaient en lieu et place de l’oculaire, via un jeu de bagues ; le corps de la lunette faisait alors office de téléobjectif. Malheureusement, l’ensemble était lourd et peu pratique à installer : démontage et rangement du précieux oculaire, montage de la bague du télescope puis de celle du boîtier, accouplement de ces deux bagues, cadrage, mise au point manuelle et… trop tard ! plus d’oiseau ! envolé, parti en douce alors que vous vous démeniez avec vos accessoires. Il fallait bien souvent se résoudre à choisir entre photographie et observation. De plus, la qualité n’a jamais été au rendez-vous. Avec un appareil numérique, sans bagues d’adaptations et sans démontage de l’oculaire, il est possible de passer instantanément de l’observation à la prise de vue : mise au point effectuée sur la lunette et rotule bloquée, appliquez minutieusement l’objectif contre l’oculaire. C’est simple et rapide et cela donne surtout son principal intérêt à cette technique : au grandissement du télescope (15 à 60 x puisque l’oculaire n’est pas ôté) s’ajoute celui du zoom de l’appareil. De la sorte, la focale résultante est énorme et permet de ramener des clichés inespérés.
L’intérêt de la digiscopie
De par sa compacité et son faible poids, un appareil numérique peut facilement vous accompagner sur le terrain. Dès lors, il sera toujours prêt à être apposé contre la lunette, elle même pointée sur un oiseau quelconque. Quelconque ? pas forcément… Ce petit limicole qui trotte au milieu des Bécasseaux variables, pas très orthodoxe n’est-ce pas ; quel est donc cet oiseau ? Après l’avoir méthodiquement décrit sur votre carnet, sortez votre appareil et photographiez-le. Ce sera une aide précieuse pour l’identification, que l’oiseau en question soit une espèce commune ou non. Certes, à la lecture de la photo, il faudra toujours se méfier des nuances de couleurs (pas forcément exactes car dépendantes des conditions de lumière, de la justesse de l’exposition, etc.) mais des critères comme la présence ou l’absence de fines stries sur les flancs, le contraste des couvertures, l’étendue du sourcil, notés sur le terrain sans la précision voulue pourront être confirmés ou infirmés sur l’écran de votre ordinateur. De plus, en cas d’espèce exceptionnelle, le cliché sera un document tangible de son existence. Dans cet exemple, l’aspect esthétique est évidemment accessoire. Mais si tout le soin nécessaire est apporté à la prise de vue, il est également possible de réaliser des photos dont la qualité étonnerait bien des photographes animaliers.
Comment obtenir de bons résultats
Quelle que soit la technique employée, les principes de base de la photographie sont toujours les mêmes. Mais vu la focale atteinte en digiscopie, certains aspects techniques seront particulièrement déterminants pour le résultat final. Et si les logiciels de retouche permettent parfois de sauver certaines images, ceux-ci ne feront jamais apparaître une information absente du fichier original : mettez toutes les chances de votre coté dès la prise de vue.
En digiscopie, on recherchera avant tout une image plutôt claire et si possible nette (inutile de ratiociner sur la profondeur de champ et l’équilibre des masses). Les systèmes de mesure de l’exposition sont aujourd’hui tellement performants, même sur des appareils « entrée de gamme », que l’on peut leur faire entièrement confiance dans 90 % des situations. En fait, tout se jouera sur la netteté ; celle-ci dépend de trois facteurs :
- qualité optique : selon votre budget ! (télé apochromatique et appareil haut de gamme)
- précision de la mise au point : pas de problème particulier
- stabilité lors du déclenchement : le point crucial.
Il est tout à fait possible d’obtenir de très bons résultats avec un ensemble (lunette et appareil) ordinaire. Pour la mise au point, nous conseillons de l’effectuer sur la longue-vue puis de laisser faire l’autofocus (simple et rapide). Quant au déclenchement, il ne faut pas rêver : en l’absence de lumière suffisante, point de salut. Car numérique ou pas, la photo est toujours régie par le couple diaphragme / vitesse d’obturation. Le premier joue sur la quantité de lumière à apporter sur le film, le second sur la durée de cet apport. En regard de la focale hors norme, la vitesse doit être élevée : idéalement égale ou supérieure au 1/125ème de seconde. Il est certes possible de réussir une photo en descendant jusqu’au 1/60ème mais le facteur chance devient trop important et la réussite aléatoire. Obligez votre appareil à utiliser systématiquement la vitesse la plus élevée possible à l’instant de chaque cliché. Pour cela, sélectionnez le programme semi-automatique « priorité diaphragme », normalement identifié par la lettre A sur votre appareil. Dans ce mode, vous choisissez vous-même l’ouverture : une fois pour toute, réglez manuellement le diaphragme sur la valeur la plus faible, car c’est elle qui correspond à l’ouverture la plus grande, donc à l’entrée maximale de lumière. Désormais, l’appareil se charge automatiquement de l’ajustement de la vitesse, et vous êtes libre de vous consacrer au cadrage et à la mise au point. Lorsque la lumière vient à manquer, n’hésitez pas à augmenter la sensibilité : passer à 400 ou 800 ISO fera certes monter le grain mais vous retrouverez alors une vitesse d’obturation adaptée à la digiscopie. Tant pis pour l’aspect moutonneux, votre photo sera nette : c’est l’essentiel !
L’instant du déclenchement
C’est peut-être le moment le plus important, mais prenons nous toutes les précautions nécessaires ? Dans des conditions identiques, certaines personnes feront des photos nettes et d’autres de l’impressionnisme (joli mais incongru en digiscopie). Car déclencher ne s’improvise pas, surtout lorsque les vitesses d’obturation sont critiques (en dessous du 1/125ème) : légère inspiration, blocage de la respiration puis flexion limitée à l’index selon un axe rigoureusement vertical. Et non pas un mouvement qui part de l’épaule, abaisse – même très légèrement – le bras et fait insensiblement pivoter l’appareil. Insensiblement certes, sauf pour les fins détails qui se retrouveront noyés dans un flou peu artistique. Beaucoup de photographes négligent l’instant du déclenchement et mettent sur le dos de leur matériel le manque de piqué de leurs photos…
Problèmes de mise au point
L’autofocus mouline désespérément dans le vide ou n’effectue pas la mise au point sur le sujet : lumière ambiante insuffisante, sujet peu contrasté ou éléments parasites (herbes, branches, etc.) entre le photographe et le sujet sont autant d’éléments perturbateurs pour les capteurs. Il vous faudra alors débrayer l’automatisme et passer en mise au point manuelle. Réglez celle-ci sur l’infini et ajustez la netteté via la molette du télescope.
Lumières difficiles
Sur votre photo, l’oiseau se résume à une silhouette trop claire (cas de sur-exposition) ou trop sombre (cas de sous-exposition). Les remèdes sont simples mais demandent de quitter un peu les sentiers pratiques du « tout-automatique ».
Problème de sur-exposition : le sujet est en plein soleil et se détache merveilleusement bien sur fond sombre. Mais si la taille dudit sujet est trop faible (fréquent en digiscopie), la mesure de la lumière sera effectuée sur l’arrière-plan. Il existe plusieurs solutions pour remédier à ce problème mais la plus efficace est la suivante :
- Passez en mode manuel (M)
- positionner le diaphragme sur le plus petit chiffre (grande ouverture)
- dos au soleil, mesurez l’exposition sur une surface de réflexion moyenne (herbe, feuillage, etc.) située hors du cadre
- ajustez la vitesse grâce à l’échelle de réglage manuel de l’exposition
- enfin recadrez votre sujet sans modifier le couple vitesse / diaphragme.
Cette manipulation est préférable à l’utilisation du correcteur d’exposition car les différences d’éclairement entre le sujet et le fond peuvent être trop importantes et donc situées hors des possibilités de correction, souvent limitées à deux valeurs d’indice de lumination.
Problème de sous-exposition : le sujet est à contre-jour ou l’arrière-plan est très lumineux (neige, sable, roche claire, etc.) : l’utilisation du correcteur d’exposition est la solution la plus rapide. Réglez celui-ci sur la valeur « + 1 », déclenchez et recommencez avec la valeur « + 2 ». Si vous avez le temps et que vous êtes un peu maniaque, n’hésitez pas à engranger une photo supplémentaire à « + 1,5 ».
Quid des bagues d’adaptation ? Ces accessoires coûteux et, selon les modèles, pas toujours pratiques à mettre en place ne sont pas indispensables. Leur utilité est cependant réelle, principalement lorsque les vitesses d’obturation sont relativement lentes. Dans ce cas, allez jusqu’au bout du résonnement et utilisez le retardateur intégré ou bien un déclencheur électrique externe : effet positif garanti. Les bagues apportent également un plus avec des sujets mobiles ou demandant un cadrage très précis.
L’appareil photo préréglé sur le mode A, il n’est plus nécessaire de s’occuper des aspects techniques, sauf pour quelques situations décrites ci-dessus. Vous êtes désormais libre d’observer à loisir et de photographier quand bon vous semble. Et si les fleurs ou les insectes vous intéressent, essayez donc votre numérique sur ces sujets : les possibilités et la souplesse d’utilisation sont absolument extraordinaires en macrophotographie !
Jean-Marc FOURCADE